Derrière l’image d’un territoire rural, il ne faut pas oublier que Pévèle Carembault fut longtemps un espace animé par une activité industrielle. Chaque jour, des trains reliaient les villages aux pôles de production, transportant ouvriers, employés et élèves dans des convois essentiel, mais à une allure que l’on jugerait aujourd’hui très tranquille.
C’est l’histoire de l’un de ces trains que nous retraçons ici, le « PP » reliant Pont-à-Marcq à Pont-de-la-Deûle, un nom qui évoque encore aujourd’hui un épisode douloureux de l’histoire locale.
Le 17 février 1948
À Thumeries, ce 17 février 1948 à 17h15, le PP quitte la gare, rempli d’ouvrières et d’ouvriers de la sucrerie Béghin qui rentrent chez eux après la journée de travail. Le chef de gare donne le signal de départ, oubliant qu’un train de marchandises arrive en sens inverse. Quelques instants plus tard, le choc frontal est inévitable : l’une des locomotives se cabre et retombe sur la première voiture de voyageurs
À quelques mètres du lieu de l’impact, Rémy Marquis, chef cantonnier, range ses outils avec son équipe quand il entend « un bruit terrible, comme une explosion ». Les hommes se précipitent pour prêter secours. Ils entendent des cris, voient certains voyageurs courir vers le bois voisin. Ensemble, ils dégagent un grand nombre de blessés.
Alors qu’il s’apprête à quitter la voiture éventrée, Rémy aperçoit des doigts qui bougent entre les planches. « Venez les gars ! il y a encore quelqu’un ici », lance-t-il.
Ce geste permet de sauver Jeannine Fournel, une jeune ouvrière de 20 ans, coincée sous les débris, le bassin et la mâchoire fracturés. « J’entendais des pas au-dessus de moi, mais je ne pouvais ni bouger ni appeler… alors j’ai passé les doigts à travers les planches », expliquera-t-elle plus tard. Elle est la dernière survivante extraite des décombres.
Tous deux ont été des membres fondateurs de l’association Les Amis du PP.
Le bilan de la collision est lourd : 24 morts et près de 80 blessés, majoritairement de très jeunes femmes de 15 à 39 ans.
Un train du quotidien
Si le PP reste associé au drame de 1948, il fut d’abord une ligne ferroviaire essentielle pour la Pévèle et le Douaisis. Mise en service en 1896, elle reliait Pont-de-la-Deûle à Pont-à-Marcq sur près de 29 km, desservant 12 communes, avec 10 gares et 20 arrêts. Le trajet complet durait environ 1h30, un rythme tranquille qui faisait partie de son identité.
Très fréquentée dans les années 1950, la ligne voyait circuler à la fois les trains de marchandises et ceux transportant les ouvriers et ouvrières des industries locales, notamment les Béghinettes, surnoms donnés aux ouvrières de la raffinerie-sucrerie Béghin. Le PP était ainsi un véritable trait d’union entre les villages qui accompagnait la vie de centaines de personnes.
Le trafic voyageur fut arrêté en 1956, avant la fermeture définitive de la ligne en 1994. Mais son tracé, encore visible aujourd’hui, rappelle le rôle discret mais indispensable que ce train a joué dans le quotidien du territoire.
Crédits photo : Les Amis du PP
Une balade verte
Aujourd’hui, l’ancienne ligne du PP a changé de vocation. Là où passaient autrefois les locomotives, ce sont désormais randonneurs, cyclistes et familles qui circulent. L’ancienne voie ferrée s’est muée en voie du sucre (de Moncheaux à Raimbeaucourt) en 2006 et voie verte de la Pévèle (d’Avelin à Thumeries) en 2012.
En 2023, l’association Les Amis du PP a installé une série de panneaux retraçant l’histoire du train, de ses gares et de la catastrophe de 1948. Une belle idée de balade hivernale pour marcher entre nature et histoire, et redécouvrir ce morceau de patrimoine ferroviaire au fil du chemin.